Les pas de Thor suivaient le sillage laissé par sa guide d’infortune, les pavés froids étaient serpentés de petites racines entrelacées qui s’écrasaient sous ses semelles épaisses. Déjà, bien avant leur arrivée près des grands mausolées et des tombes, l’ambiance se dévêtissait de sa vie ; laissant la place à l’esprit de tisser ses réflexions mortuaires. Le dieu remit ses bracelets de forces en place, évitant de perdre son regard dans les alentours brumeux, les fenêtres semblant toutes abriter des âmes inquisitrices derrières leurs vitres poussiéreuses. La silhouette d’Ikol n’était plus que draperies sombres qui se découpaient et s’entrecoupaient dans le brouillard. Ragnarok , Ragnarok, c’était comme un mantra mental qu’il s’imposait pour continuer sa route sans pensées parasites.

Ragnarok, Ragnarok. Devant lui se dressait finalement le grillage vieillie des lieux de recueillement Midgardien. La brune aux ombres de soies le regarda, avec une malice qui fit descendre et remonter sa pomme d’Adam, avant de disparaître sous la chape de plomb condensée des sinistres lieux. Sous les doigts de Thor, il semblait encore courir une sensation humide, poisseuse et collante et un frottement entêtant de cheveux entre ses doigts. Ragnarok, Ragnarok, Ragnarok, Ragnarok…  L’essence pure de ce mot ravivait le moteur de sa quête, si bien qu’il suivit presque immédiatement son accompagnatrice aventureuse, le buste droit et le pas bien campé. Thor parcourait le chemin irrégulier et chaloupé des pierre et de galets pour arriver à proximité de l’Alfe qui semblait découpée dans la nuit. Le bruit que fit Mjolnir quand elle glissa le long de sa main pour prendre une meilleur assise dans sa paume fut aigu, comme le cri timide et abîmé d’un violon poussé dans ses derniers retranchements. Mais les sueurs froides du dieu ne semblait pas réellement trouver de source tangible, les stèles évoquant bien plus de questions que d’inquiétude, si bien que rapidement il se tranquillisa. Son esprit lui ayant fait miroité une vérité si horrifique que sa révélation fut une douche froide et rationalisante. Ikol semblait elle-même à l’aise, s’enfonçant dans le labyrinthe de pierres ébréchées. La voyant ainsi à l’aise, le dieu décida de s’éloigner de quelques pas pour lui-même enquêter, se déplaçant vers la forme onduleuse d’un arbre majestueux à l’agonie qui se tordait dans tous les sens. Sur l’écorce de celui-ci se trouvait leur lignage inscrit dans les chairs végétales. Les doigts du dieu de la foudre caressèrent avec une douceur affectée le nom de son mère et celui de son frère. Leur arbre généalogique était fait d’alliance et de lien, si bien qu’il se découpait en multitude de ramification qui disparaissaient sur le diamètre impressionnant du tronc. Au-dessus du nom de Loki suivait une ligne annexe, comme une route bis, mais Thor n’eut pas besoin de tourner autour de l’arbre pour se renseigner. Cette vérité qu’il connaissait déjà, il en faisait bien peu cas. Les rois formaient une ligne droite au centre, Loki était légèrement décalé vers la gauche du nom de Thor, juste en dessous de celui de Frigga. Et à leur droite se trouvait un trait qui laissait penser que la descendance d’Odin continuait, mais il menait à un bout d’écorce arraché. Sûrement était-ce le simple travaille du temps qui avait entamé le bois, aussi magique soit-il.  

Le prince se détourna de l’édifice Forestier pour faire face au cimetière dont il s’était éloigné et rapidement, il lui sauta aux yeux que les tombes s’agençait selon une logique qui s’inscrivait dans la résine. L’air était frissonnant et son esprit en ébullition, mais le macabre de la scène ne le touchait pas férocement ; son esprit guerrier et distant était trop tourné vers l’action. Alors, le fils d’Odin s’enfonça entre les monuments mortuaires, s’accroupissant et passant sa main sur leurs surfaces pour dépoussiérer les noms qu’il connaissait déjà. Les tombes étaient rangées comme l’était leur généalogie, rapidement le dieu se trouva face à leur famille proche. Bor était représenté par un mausolée, au même titre qu’Odin, et son lignage prenait un grand espace, ses nombreuses alliances et ascendances se dévoilant en arborescence de sépultures.  Le monument du Père-De-Toute-Chose était entouré de deux corbeaux de roches et la sépulture de Frigga était guerrière, faite d’une épée enfoncée au centre d’une fontaine finement ouvragée. Celle de Thor était ébréchée, faite d’un matériaux épais et sombre, elle ruisselait, l’eau s’infiltrant entre chaque fente. Celle de Loki, à sa gauche, était fine, entourée de vigne grimpante aux pointes acérées et un serpent de marbre dormait en son sommet. Son coeur se froissa et reprit douloureusement. Il resta à bonne distance de la stèle. Et à sa droite il y avait des lames de bois d’ébènes qui sortaient du sol, dangereuses et belliqueuses, comme une sculpture impromptue de mise en garde.

L’exilé continua son investigation en s’intéressant aux différences entre toutes les tombes. Si celle de Frigga et des ancêtres de la famille royale se paraît de la douloureuse date de leurs départs, celles d’Odin et de Thor étaient immaculées de cette information. Le souffle du fils décevant reprit son court, alors qu’il n’avait plus était si libre depuis… des années. L’effet d’une bonne nouvelle était si percutant que le faux dieu en fut abasourdit. Cela faisait bien trop longtemps qu’il avait quitté ses terres et le soutient de ses alliés ; il n’était pas encore prêt à affronter le monde qui tournait -presque- sans accroc. L’Asgardien se dit qu’il était peut-être le moment de repartir vers sa guide pour lui transmettre la glorieuse annonce. Ses pas le menaient déjà vers le chemin principale, les mains un peu moite maintenant qu’il n’y avait plus de questions, son esprit partagé entre une douceur nostalgique et une angoissante mémoire. Le cri perçant d’un corbeau derrière lui le fit se retourner si vite que Mjolnir tournoya au bout de son bras. Ses muscles étaient nerveux, douloureusement saillants et prêts à se battre. Le volatile glissait sur le serpent marbré, tapotant de son bec impatient sur la pierre. Si fort que Thor craignit qu’il ne s’y fende le bec. De ses mains cendrées il remit en place ses bracelets de force et s’avança pour tendre son bras à la créature agitée. Ces volatiles étaient sacrés et il ne pouvait s’empêcher de songer qu’un animal aussi symbolique de leur famille se blessant sur ces sépultures seraient un outrage.

« -Doucement, cesse de t’agiter comme un butor, que t’arrive-t-il ? »

Il lui tendit son bras, mais l’oiseau d’ébène ne cessait de s’agiter et s’énerver, croassant plus fort. Thor approcha de la tombe de son frère pour récupérer la créature rétive. Peut-être était-elle un peu trop à sa place. Avec un caractère pareil, elle ne s’était pas trompée de perchoir. A y regarder de plus près, la sculpture en l’honneur de Loki était somptueuse, pleine de symboles runiques, parfois entrecoupés par des rayures désordonnées. Son nom était gravé dans le marbre, noir et élégant. Sa date de naissance de la même manière, presque la même que celle de Thor. L’index du blond passa sur les lettres alors qu’il frottait à côté de la première date pour nettoyer la couche de poussière qui recouvrait la seconde partie. Il ne pouvait la laisser sale après avoir tellement approché. Cependant, aucune deuxième partie ne se trouvait sous la couche de poussière grisâtre. Comme pour l’épitaphe de Thor. Pas de date de décès. Rien. Le prince s’acharna à frotter, mais cela ne changea aucunement. Sous toute les coutures, il n’y avait rien de plus. La colère monta rapidement en Thor. Voilà que ses espoirs d’avoir la réponse pour son père se volatilisaient, les sépultures n’étant aucunement fiable à moins que… Son esprit rejetait les autres possibilités, même si elles étaient imprimés dans un coin éloigné et fertile. Il s’élança vers l’allée centrale, l’humeur au rouge, le pas lourd et le visage durcit.

Au loin Ikol ne semblait pas, ou peu, avoir bougé, si bien qu’il la rejoignit en quelques enjambées supplémentaires. Ses bras le long du corps et les yeux plissés, il commença à s’exprimer.

« -Qu’est-ce que cette duperie, j’i- »

Il se tut face au visage à la lividité surnaturelle de la femme déjà particulièrement pâle à son habitude. Cette observation apaisa légèrement sa colère, mais pour très peu de temps. La brusquerie elle, était toujours au rendez-vous, et il pénétra son espace vital avec autorité. Les ongles s’enfoncèrent dans ses chairs durcit par la nervosité et alors qu’il ouvrait les lèvres pour réclamer … des paroles, quelles qu’elles fussent, pour apaiser son désespoir de point mort. Ikol prononça celles qu’il ignorait ne pas vouloir entendre.  

« -Tu n'es pas mort. Et je ne suis pas le responsable. »

Dénie. Attente. Révélation. L’esprit du fils d’Odin était vide. Vidé plutôt. Comme rangé dans un compartiment étouffant toutes pensées autres que celles d’agir. Sa figure reflétait cet état de fait. Ses traits étaient tirés, ses yeux étaient glacés et son air, distant et à peine intéressée. Moljnir fit encore un bruit strident alors qu’elle roulait le long de ses doigts. Le serpent était l’animal de son frère, pourquoi être étonné de sa lâcheté et de sa façon de se faufiler loin des contrariétés ? Le cynisme qui emplissait l'esprit de Thor était acide, même pour lui. Au fond, rien ne l’étonnait, même si ses sentiments étaient comme une vague s’écrasant sur ses convictions, la surprise n’était pas si forte dans le rouleau de l’eau.

« -Je comprend que cet endroit ravive la culpabilité qui étreint vôtre coeur. Qui avez-vous laissé derrière ? Des inconnus, des amis ou de la famille ? Quels songes terribles peuvent bien remonter en ces lieux emplies d’une magie que vous ne pouvez sentir ? » Thor était si proche d’elle -de lui, cessons la comédie- qu’il pouvait sentir son souffle sur sa peau brûlante. « -Les avez-vous contempler mourir ? Les avez-vous laissés derrières ? Vous êtes vous demandé comment vous pouviez ainsi faire passer vôtre vie avant la leur, dans vôtre immense lâcheté ? Vos désirs égocentriques... »
 
Le cimetière était emplie d’un vent qui accompagnait la tempête qui pulsait dans les veines du dieu, les arbres morts se pliant devant sa royale colère. Ses poings étaient fermés, effrayé qu’il était qu’en les rouvrant les flots de pensées qu’il bloquait se mettent à ressortir. Qu’il vienne à sérieusement se demander pourquoi sans trouver de réponse qui ne trancherait pas son cœur. Qu’il vienne à penser à toute la machination que son frère avait mit en place pour se jouer de lui. Plus que de ne pas le comprendre, Thor craignait d’un jour prendre la vérité frontalement. Parfois il s’interrogeait et souhaitait des réponses, mais dans l’immédiat il était juste trop peu sûr de lui pour risquer les conséquences d’une telle volonté. A la place il agrippa la nuque de Loki, le forçant à faire face au cimetière.

« -Qu’y vois-tu ?! Y vois-tu ceux que tu as trahis ou bien juste des miroirs de ta personne ? QU’Y VOIS-TU MON FRERE ?!  » Sa poigne était intransigeante et son visage plié.

«-Et qu’espérez-tu ? Que voulez-tu enterrer en ces lieux ?  »

Ragnarok, Ragnarok... Ce n'étaient qu'un mot qui se dilluait, inconséquent et sans valeur.