C’est un bruit aiguë qui le sorti de sa torpeur, comme un long cri expulsé par une gorge fanée ou comme le hurlement d’un violon affolé sous la main cruelle d’un insensible. Et quand ses paupières réussirent à se déplier, le son stoppa. Net. Il n’y avait que les bruit de la tuyauterie qui glissait et s’égouttait dans ses oreilles et du moteur de la chaudière qui grondait et faisait vibrer ses tempes. Pas un bruit de plus que celui de l’infernale cacophonie qui ordonnait la vie dans l’ombre. Devant lui se découpait un décor dont il avait apprit les détails avec rigueur. Tremblants, devant ses pupilles vacillantes, le chauffe-eau et les compteurs électriques se balançaient de gauche à droite, de droite à gauche. La pénombre avait envahit les angles de la pièce de pierre pour échapper à la lumière faiblarde qui arrivait ternie et salit par la fenêtre à soufflet vieillissante qui donnait sur la rue.  Toute la pièce vacillait au grès de son mouvement de balancier, elle se dévoilait en alternance sans donner aucun signe du tueur de Dieu dans les environs. Sûrement parti encore une fois se renseigner sur lui  pour connaître ses faiblesses.

Comme tant de fois au cours des derniers jours, Thor Odinson, futur héritier d’Asgard et dieu du tonnerre ouvrit une main mollassonne pour appeler l’aide d’une alliée, pensant ne jamais la vexer. Qu’il pensait mal. Elle resta encore une fois silencieuse. Toutes les personnes qu’il avait un jour considéré comme acquises à sa cause et à ses exigences s’étaient levées pour faire face. Et même les objets lui faisaient aujourd’hui payer son manque de décence. Son esprit faible lui demandait de cesser les tentatives vaines, qu’il supplierait bientôt, sûrement, d’ici quelques heures, quelques jours, quelques semaines. C’était l’inéluctable. Et le dieu ne savait même plus quelle voix il entendait dans sa tête, si elle le représentait toujours ou était passé à l’ennemi. Avec effort et difficulté, il releva son crâne lourd, ses cervicales craquant et menaçant de ployer sous son propre poids pour contempler les ténèbres qui enveloppait ses jambes, l’emprisonnant dans un demi-cocon de noirceur.

Thor se mit à se débattre contre la fatalité, pliant ses genoux, balançant son bassin, devenant toujours un peu plus le moucheron dans la toile. Son corps vacillait, se balançait et sous l'impulsion il se mit à tournoyer sur lui même sans adoucir la poigne des fils d’obsidienne qui le tenaient attachés au plafond. Quand la partie arrière de la salle se découvrit à lui il fut malgré lui glacé d’horreur en voyant le visage de Gorr, égal, tranchant de pâleur sur son manteau d’ombre. L’imaginer statique dans son dos, silencieux et observant sa débâcle fit brûler le feu affaiblit de l’humiliation dans le crâne lourd  de tension de l’Asgardien.

Encore aujourd’hui, Gorr voulait des noms, des dieux à traquer. Pas qu’il ne les trouverait pas de lui même, juste pour tuer tout ce qu’il pouvait tuer en Thor avant de l’arracher à la vie et de l’envoyer dans l’Outre Monde. Encore aujourd’hui, il citerait Loki, lui livrant ses plans prévu à son sujet, que le fils d’Odin savait réels et loin d’être exagéré. Et il lui promettrait la paix de son âme et surtout de son corps si il venait à juste lui donner quelques informations concernant le dieu du mensonge. Ou un de ses fidèles. Juste un nom. Thor aurait nier si on lui avait demander toutes les demandes humiliantes qu’il avait faite au boucher, toutes les suppliques murmurés en ravalant son orgueil ankylosé. Mais il n'aurait pu mentir sur la trahison et se serait couper la langue si Gorr avait eu le temps de lui extirper un seul nom de son panthéon, ce qui serait inexorablement arrivé. Alors la suite sauva assurément les récits qu’il raconterait plus tard de sa propre voix. Quand les filets noirs s’affaiblirent sur ses jambes et ses bras Thor les déchira de ses dents et bras avant d’attraper une plaque de métal fine et rouillé posé contre le chauffe-eau. Il abattit la ferraille dans le flan noir du rédempteur, profitant de son combat avec le nouvel arrivant. Elle scinda la chair sur une dizaine de centimètre avant que le blond ne la lâche et tombe en arrière. Le sang de sa tête s’affola, et la chute de tension que provoqua son retour pied sur terre le fit vaciller, aveugle à ce qui se passait autour de lui pendant quelques minutes, le temps pour Gorr de s’échapper.

«-Loki ...» Il tendit une main si pleine et demandeuse vers le dieu du mensonge.

Le ciel n’était plus au dessus de leur tête mais à leur pied, menaçant, sous la supercherie d’un sol qui pourrait s’ouvrir en deux, de les dévorer à chaque pas. Son regard était diffus, tourné vers le goudron dentelé par les racines et l’herbe sauvage qui avaient envahis les rues. Mais Thor n’y voyait rien, ses jambes s’activaient mécaniquement et posaient à peine leurs pointes au sol, soulevé par le bras gracile qui le supportait. Son esprit était un pas derrière eux, les questions le bousculant et le ballottant alors qu’il tentait de rester alerte. Alerte à la présence de Gorr autour de lui, à l’attaque imminente et aux gestes défensifs qui devraient en résulter fatalement. Loki ... Loki était là. Il avait réussi à lui porter le coup que Thor n’avait pu donner, à blesser le massacreur. Mais pour combien de temps cela lui donnerait-il un avantage avant d’être également à la merci de leur ennemi ? Les pensées du dieu revenaient toujours au prochain coup qui serait lancé, à la défense futur qu’un fou et faible homme serait ou non capable de lui opposer et aux doctrines martiales qui peinaient aujourd’hui à lui donner la force nécessaire pour nourrir son corps d’une soif de sang curative. Le tout dans une brume presque opaque, les contours de ses idées se dissolvant trop vite dans les suivantes, parasitées par des distractions aussi simple et douces que le souffle de son frère contre sa tempe et la solidité de son bras sous les siens. Pour ce qui lui sembla être des heures mais qui ne fut que quelques minutes, ils arrivèrent au pied d’un appartement. A la fin du voyage, le dieu du Tonnerre qui avait tenté de rester un soldat, un guerrier, une bête de marbre face au danger était en train de doucement  échouer et dériver vers le coton soyeux de la confusion. Loki ... était-ce réellement lui ? Celui qu’il avait appelé, quémander et redouter de voir arriver ? Où était-ce juste un songe réconfortant qui prendrait fin dans quelques instants toujours trop courts ?

Et soudain, il était à Asgard. Il reconnaissait la chambre de son frère, ses odeurs et les tentures d’or et d’émeraudes. Il y avait nouveau canapé, moins doux que les draperies de soies de leurs lits princiers, mais qui était si doux pour son dos qu’il en devenait éprouvant. Comment était-il de retour au Royaume éternel ? Était-ce réellement important de le savoir ? Son corps se détendait fautivement quand il se laissait aller au fait d’être retour dans cette pièce qui fut le théâtre de bien des crises et de leurs résolutions. Il pouvait prétendre que ce n’était que le matin se dévoilant après une nuit d’orage indocile et indomptable, redécouvrir d’un regard renouveau le visage fin de son frère au dessus de lui. Les paroles suivantes le giflèrent avec la force d’un bilgesnipe lançant l’assaut.

«Tu ne portes pas Mjölnir »

Il n’était plus à Asgard, Loki n’en demeurait pas moins brillant, mais d’une façon plus dangereuse et plus convoité par l’extérieur. Les yeux clairs du dieu ne pouvait l’apercevoir, mais il savait le ciel couvert d’un voile noir et impénétrable.

«-Raconte-moi. »

La révélation fut froide, glaçante et le ramena brutalement dans un corps honteusement dysfonctionnel, zébré de noir et de rouge. Ce fut comme une longue inspiration qui ne ressortit jamais de son thorax, juste le vent s’engouffrant dans la cage d’ivoire pour y faire raisonner son bruit filant et soufflant. Le fils d’Odin se redressa sur ses avant-bras, quittant la position abandonnée dans laquelle le canapé l’avait accueillit pour offrir des réponses, un rapport, pour donner les informations sur l’ennemi et car le silence était interdit. Il était la marque d’un échec qui ne concernait pas que lui.

«- Le fils d’Odin n’existe plus, le pouvoir dont il se croyait investit a préféré se perdre que de rester entre ses mains, il ne reste qu’un homme qui tremble comme un enfant sur un canapé bon marché dans une illusion de grandeur ! » D’un coup de pied Thor éjecta le meuble contre le mur en se relevant. Sa voix rauque fini en un croissement. Il passa deux mains mal-assurés sur son visage pour en tirer les traits et effacer ce qu’on pourrait lire dessus. Il n’en revenait pas d’être ici, mettant en danger Loki après que le dieu malicieux l’est lui-même sauvé. N’aurait-il pas mérité mourir là-bas ? Et pourtant, son cœur battait et il n’avait jamais autant tenue à la vie qu’en sachant qu’il pourrait la perdre si simplement. Le dieu avait côtoyé les batailles,  la brûlure  des blessures du combat et la mort. Mais jamais la mort qui prenait le temps de nouer une relation intime avec soi, jamais celle qui s’enroulait autour de chaque os et bout de chair qu’elle trouvait pour s’y enchevêtrer, présente et lancinante.

« -Un tueur de Dieu est en ville, il se fait appeler Gorr. Je n’ai jamais vu une telle arme entre les bras de quiconque. » N’était-ce pas son travail de s’opposer à ce genre de personne ? Si il n’était bon qu’à arrêter des ennemis Midgardiens ou ses propres erreurs alors à quoi bon passer pour un dieu ? Loki semblait mieux en mériter le titre. Thor redressa le visage vers son frère qu’il n’avait cessé de considérer modestement de peur de devoir le reconnaître. Reconnaître que le plus jeune avait été le héros qu’il n’avait pas su être et que son admiration saupoudrée de venin acide.

« -Il n’y aura pas de prisonnier si il trouve d’autres membres des panthéons. » Son pragmatisme était guerrier, répondant à l’ordre et à la bannière d’Asgard. Il aurait dû, il aurait voulu remercier Loki, lui tendre des mots doux et peut-être en recevoir, mais son visage était de marbre, encadré par des mèches de cheveux recouverte du sang goudronneux de l’extra-terrien. Ses jambes firent quelques pas en arrière pour trouver l’assise solide d’un meuble quelconque.

« -Allié ou pas. Roi ou paysans. Tu es concerné. »

Le cynisme de Loki était un étrange breuvage, tantôt aussi doux et vivifiant que le miel, tantôt aussi âpre que l’alcool amarescent des plus pauvres tavernes des neufs royaumes. Ses commentaires fouettés d’une langue moqueuse étaient usuels et faisaient partis de leurs quotidiens depuis plus d’un millénaire, tout comme le sang chaud du dieu le plus âgé était une évidence qui demandait à être considéré et embrassé. Ces mots étaient même, dans toute leur perfidie ou acidité, grandement apprécié du dieu belliqueux qui s’en était plus d’une fois servit pour retrouver un semblant de contrôle et d’apaisement. Aidé par une main lui était généralement tendue pour accompagner la veule remarque.  A d’autres occassions les dires ne lui étaient pas adressés et alors Thor goûtait avec délectation le fait de partager ces moments de pure complicité toute-puissante sans en être pour autant l’auteur.

Et encore aujourd’hui, les moqueries d’une gentillesse presque offensante, coulèrent sur lui et ses pensés, bien loin de l’émouvoir. Ce n’était point ces mots de Loki qui résonnaient en lui, car de son frère il n’y avait point de facette qu’il se savait ne pas aimer, le dieu de la malice était une personne entière à aimer, aussi ambigüe que son rôle ici. Le dieu du tonnerre était appuyé sur la commode  qui lui servait à présent de soutient indéfectible et inébranlable, qu’il pensait pendant une seconde mieux savoir traiter que le canapé rejeté. Bien heureusement pour lui car la langue de Loki devint très rapidement impitoyable. Elle savait distiller tant  de vérité douloureuse et nécessaire. Ses mots résonnaient contre les parois opaques et impénétrables qu’avait érigé le fils d’Odin dans son esprit pour échapper à nombre de questions et de dérives.

C’est entendre Loki parler de Mjolnir comme si sa connaissance avait valeur sur ce sujet que la colère de Thor se réveilla. Mais il n’était qu’un amas de ces sentiments, un tas de chair à vif exposant ses émotions sans retenues. Il gardait un silence buté  et quand la main du brun attrapa ses chairs meurtries avec reproche avant de les gratifier de caresse curative, Thor ressentit au creux de ses pupilles une tempête qu’il redoutait bien plus que l’orage et qu’il balaya rapidement sous un tas d’autres priorités. Des priorités devant ensevelir le regard si vert de Loki, sa beauté brillante et sa présente réconfortante. Il tendit deux mains tremblantes vers ses joues et les attrapa fermement entre ses paumes.

« -Tu ne comprend point Loki, tu n’as jamais compris ce qu’est Mjolnir. Qu’elle n’est pas seulement là pour défaire des ennemis mais également pour bâtir des mondes. Et qu’elle châtiera qui-conque deviendra le bourreau. De la même façon que ma personne, tu ne la comprend pas. Et sans elle, il n’y a pas d’espoir. »

Entendre la voix de son frère, assurée et prête à lui donnait un plan qu’il convoitait et quémander en son fort intérieur remuait quelque chose ne lui, au niveau de son estomac où se répandait un nid de vipère agité. Car voilà tous ce qu’il convoitait depuis être arrivé en cette ville et qu’il n’avait pas d’espoir, plus d’espoir à cet instant. Loki était un guide, un gouvernail sûr dans les temps de crises et Thor craignait de le rompre avec lui. Le sommeil… il balaya avec brusquerie la proposition.

« -Mon sommeil ne sauvera aucune vie mon frère, encore moins la tienne que tu semble si sûr de maîtriser. Tu m’as sauvé la vie aujourd’hui, Loki. » Il s’arrêta une seconde, comme pour digérer l’information. « Et tu condamne la tienne par la même. Cet appartement sera bientôt le théâtre d’un sinistre avenir, nous devons le quitter. Notre seul chance est de le confronter dès à présent, de le poursuivre et de le traquer avant de tenter d’y mettre fin à deux. » Ses mains tapaient contre ses poignets et il s’extirpa de son assise pour s’approcher d’une démarche, qu’il voulait sûr mais sans conviction, du plus jeune dieu. « Une hache de guerre serait parfaite. Et tes dagues pourraient nous êtres d’une grande aide. Tu dois fuir si le moment vient, car tu dois être immortel Loki, pour le bien de tous. Tu es le plus fort contre cet ennemi. » L’appartement de Loki était chaud, doux et remplie d’objet amenant la confusion, comme son propriétaire. Ses deux pouces encadraient son visage avec une force déviante alimentée par la fièvre. « Tu dois être l’immortel mon frère, sinon quel espoir nous reste-t-il ? » Sinon, que me reste-t-il ? Thor recula pour s’asseoir, recherchant un meuble qu’il n’aurait pas envoyé s’encastrer dans le plâtre.

Ses dernières pensées s’enchaînèrent, se superposant et s’entre-dévorant avec une vitesse vertigineuse. « Loki, enfoiré ! », « Si il arrive ? », « Ne pas laisser Loki seul », « Pas le noir... », « La fin de temps », « Juste un rêve ?», «Non mon frère ne-», «Noir...», «Reste où je-», «Cou-», «Loki !», «Noir».







Gardant ses yeux fermés, Thor poussa un soupire faiblard. Son corps était douloureusement engourdie, il lui semblait se réveiller après un concours de beuverie contre un géant. Quand l'Asgardien tenta de passer une main sur son visage mou il sentit une boucle de métal froid sertissant la bande de cuir qui bloquait son poignet. Les battement de son coeur se firent dissonant, envoyant à travers son corps des rails d’adrénaline. Ses paupières se déplièrent avec brusquerie lui renvoyant l'image du plafond sombre au dessus de lui. L’action précédait la réflexion alors que ses bras donnaient déjà les impulsions nécessaires pour faire sauter les barres de fer qui retenaient son corps allongé. Le souffle court et les pupilles dilatées, ses coups de butor faisait raisonner le métal et il sentait que l'attache commençait à rompre alors que le sommier du lit s'était légèrement ployé et cabossé sous la puissance des coups vindicatifs du prince. Ses bras étaient parsemés de veines qui inscrivaient sous formes d'éclair ses efforts en relief. Ils tremblaient devant la manœuvre qui aurait dû se montrer dérisoire pour tout Ase. Sa tête bascula de côté alors que ses épaules retombaient sur le lit dans un mouvement d'abandon. Il y reviendrait... plus tard. Ses yeux parcouraient les lieux assombris par la nuit, sa cage thoracique s'élevait et s'abaissait avec urgence et son esprit commençait tout doucement à refaire corps avec sa carcasse affaiblit.  Thor se souvenait que sa salvation n'avait dépendu que de son frère qui était venu l'arracher des mains qui auraient détruit tout de lui, avant de le ramener à son appartement. Son esprit se remémorait par saccade leur discussion houleuse, la fièvre, la peur,  la jalousie et la colère. Le noir. Où était Loki ?

Soudain, ce n'était plus une pièce de peau tannée qui le retenait mais des fils d'obsidiennes aussi solides que malléables, le silence n'était pas le calme mais la possibilité que Loki ne soit plus en état de faire jouer sa langue d'argent. Qu'il soit agonisant dans une pièce annexe des lieux ou qu'il... Le feu brûlait maintenant tout son corps et ses muscles s’élancèrent pour arracher ses liens. Son corps s’arc-bouta sur le lit  alors qu’il poussait un cri similaire à celui du brame, long, rauque et guttural.  

«- Gorr ! » Hurla t-il d’une voix aux accents graves et rocailleux. Comme un sombre avertissement, celui que la peur ne l’effleurerait plus si le boucher touchait son frère, qu’il ne resterait que la colère sourde d’une bête inarrêtable.

Sous son impulsion un élément de sa prison rompit et soudain il sentit un angle du lit tomber au sol, le pied roulant au fond de la salle avec un bruit métallique. Il lâcha une exclamation douloureuse alors que sa tête percuta la tête de lit qui bascula et que son corps fut retenu par les liens qui étaient encore solide. Pendant au poignet qu’il venait de libérer, un bout du sommier se balançait de droite à gauche, rompant la peur panique qui guidait ses actes. Où était les fils noirs qui le retenaient ? C’est un bruissement de tissus et le son délicat d’une feuille se retournant qui attirèrent le regard de Thor vers ses pieds, dans un coin en retrait. Oh le fils de pute.

«-Oh Loki… Si il y a un seul dieu en lequel tu crois si ce n’est toi-même, je te conseil de le prier dès maintenant mon frère ! Car ton sort sera funeste et on racontera dans les contes ta fin comme la plus horrible qui fut sur cette terre !! » Thor tendit une main féroce vers Loki, mais sa colère était empoisonnée, teintée d’un soulagement qui faisait passer cette rage pour un caprice d’enfant. « Maintenant détache moi, avant que je ne me détache moi-même ! » La fin de leur discussion lui revenait en tête et les paroles aguicheuses de son frère également. Etait-il réellement en sécurité ici ? Etait-ce un bastion sûr pour eux ? Avec un soupire fatigué, Thor se redressa. Il observa son corps zébré de plaies mais à la peau dévoilée, débarrassée de sa pellicule de sang caillé et de cendre poisseuse. Alors sa voix se fit plus douce. « Je crois que nous avons besoin de parler, Loki. » Dit-il, le bras toujours pendu. Ses tentatives pour sembler plus à l’aise se soldèrent toutes par des échecs cuisants où il gesticulait comme si une armée d’insectes urticant courait sur ses arrières.

Thor ignora si son frère prit pitié de lui mais la sensation de ce petit gain de liberté fut accueillit avec apaisement et frustration. Les deux mains aux doigts élimés par le temps se précipitèrent vers la sangle qui entourait son torse dans l’espoir d’arriver à en défaire les attaches, sachant pourtant parfaitement que Loki n’avait sûrement laissé les boucles de métal que dans le but de faire joli et de l’enrager. Si le malicieux ne voulait le voir debout alors il ne le verrait point debout, c’était aussi simple que cela. Son frère et ses sarcasmes apaisants, son frère et ses vérités que le prince ne voulait entendre, son frère et ses questions que Thor n’aurait pas pensé à se poser. Son frère et son visage juste au dessus du sien, aux traits si fins sur lesquels se marquaient en ombres dansante les offenses qu’il subissait, inscrites fugacement sur la blancheur spectrale de sa peau. Les yeux de l’exilé voyait le dieu de la malice, impénétrable et pourtant si familièrement lisible.

La nostalgie retournait son estomac et l’embrasait, si bien que les questions de Loki faillir ne pas trouver d’écho dans l’esprit distrait de son frère plus âgé. Mais les mots du brun réveillèrent en Thor une affolante inquiétude qui se traduisait par la peur de voir le noir fendre la peau du malin, transperçant chaque parcelle de son corps alors que les lames de ses dagues tombaient au sol dans un bruit étouffé. Il ne pourrait pas… De sa main nouvellement libre il attrapa le poignet du plus jeune avec autorité. C’était une poigne qui se voulait assurée et qui compensait son manque de force par une rudesse renforcée. Son torse fut arrêter dans sa progression par la lanière de cuir qui entourait son thorax et ses dents se crispèrent. Si il ne pouvait venir à Loki, alors son frère viendrait à lui. Sa seconde main se jeta sur le second bras du dieu dupeur avant, d’une impulsion, ramener la silhouette longiligne à lui en y mettant toute la force de son poids. Quand le visage du trompeur fut en face de lui, à quelques centimètres, Thor s’exprima avec un avertissement sourd au fond de la gorge.

« Tu te feras tuer avant d’en avoir percé un seul secret ! Ne pense même pas à t’approcher du boucher par toi-même, tu n’en a pas la carrure, tu ne feras que lui donner ton sang et ta fin ! Indigne d’un prétendu roi ! » Ses mains tremblaient contre la peau pâle de son frère et le fiel de ses paroles étaient acide même pour ses lèvres hypocrites. Ses bras étaient tendus par l’effort de retenir les fins et graciles poignets entre ses deux paumes, le forçant à lui faire face. « Abandonne ton plan infernal Loki, c’est du suicide, tu ne peux lui tenir tête. Il… Il est trop puissant. » La honte était brûlante, corrosive sous sa peau.

Le corps du dieu se noyait dans les draps humides de sueurs sanglantes, ses bras tentaient de remonter à la surface de la mer de honte qui le submergeait mais même eux ployaient sous le poids de son corps échoué. Tremblant, ses pupilles, dévorant l’espace de ses yeux écarquillés, couraient avec affolement sur le visage pâle de son jeune frère. La peur avait changée de source, la voilà qui avait décide de s’abreuver plus abondamment dans ses échecs. La raison n’en était pas les paroles de Loki, mais leur écho n’était que le glas qui sonnait la fin de ses derniers espoirs en trompe-l’oeil. L’évidence. Il avait cédé. Il n’y avait nul roi dans cette chambre, aucun qui ne l’aurait mérité ou voulu. Le dieu de la malice avait toujours fait preuve d’une sagesse propre à lui-même concernant ce statut d’héritier, seulement attiré par la royauté car on le la lui avait arrachée avant même qu’il n’eut l’âge de faire ses preuves. Si aujourd’hui le malin prétendait convoiter le trône, il ne pouvait mentir sur les motivations qui avaient amené l’or du sceptre paternel à devenir une obsession, aussi brutalement que douloureusement. Thor en était convaincu.

Lorsque Thor avait parcouru les terres les plus abandonnées et les plus arides des neufs royaumes pendant près de deux ans, seuls ses souvenirs avec Loki chuchotés au coin du feu à un animal ou squelette de passage donnaient du sens à sa quête. Et dans ce petit théâtre en pleine air, où le ciel diluvien et le crépitement du feu répondaient à ses murmures, il ne pouvait fuir les vérités qui venaient à lui. Sans la voix doucereusement autoritaire de son père pour lui intimer de prétendre et sans les regards attentifs de ses camarades de batailles qui le scrutait, jugeait de sa solidité, les pensées affluaient, le barrage des attentes cédait. Il revoyait son frère accompagner ses jeunes campagnes, gardant le silence à chaque affirmation de la futur royauté de Thor, comme si il s’agissait d’une évidence. Du destin. Lui laissant les honneurs des batailles qu’il avait souvent volées, rarement méritées mais toujours exhibées. Faisant amande honorable par de modeste tours souvent humiliant, parfois dangereux mais n’acquittant jamais réellement la dette que le jeune dieu arrogant était convaincue de n’avoir jamais contracté. Et dans ces moments là, où il se remémorait cela, le dieu se sentait si loin de son foyer, un foyer qu’il ne retrouverait plus jamais. 

Et aujourd’hui son frère était revenu, et le dieu de la duperie pouvait le contempler, ses échecs mis à vif sur sa peau zébrée qui avaient perdu quelques teintes halées. Voir tout ce que Loki lui-même, par ses ingénieux tours et sa nature malicieuse, avait toujours réussi à cacher au reste du monde. Et que la honte était brûlante. Et que la honte était blessante. Et que ces sentiments étaient honteux. Sous les yeux si verts et vif d’intelligence du prince de l’ombre. Tous étalés sur ce lit flasque et moite. Sur son corps faible et naufragé. Dans ses yeux pleutres et dans ses cheveux entremêlant deux destins odieusement liés.  Les doigts pâles et serpentueux du magicien contre sa peau le firent frémirent et se tendre, rajoutant une couche de honte sur la honte. Son souffle fut expirer par un long soupire qui se voulait rauque et fauve. Ses paupières brûlaient, son cœur battait puissamment dans sa cage thoracique, menaçant de laisser la foudre prendre possession de la nuit encore une fois et ses sourcils se fronçaient pour répondre par le combat, pour préserver ce qui leur restait en le diluant dans le conflit plutôt que dans l’horreur.

Ses résolutions emplies de fatalité dégringolèrent, se cassant la gueule dans un fracas qui assourdit ses idées en tombant à l’eau. Sa raison coula quand Loki attrapa entre ses doigts ce petit bout ébène lui appartenant, entremêlé dans la tignasse blonde et qui avait permit à Thor de mener sa barque bancale sur des mers déchaînées. Car, même si personne ne l’aurait cru, Loki était bon guide, il était même le cap que Thor avait suivit durant sa jeunesse et qu’il n’hésitait pas à sacrifier périodiquement pour accoster vers la renommé avant de toujours y retourner. Et c’est dans ces fins fils fait de la plus noir des nuits que le tempétueux héritier en exil trouvait le réconfort et la chaleur de la douce magie infusée si propre à son frère. Et les savoirs maintenant découvert, alors qu’il ne les avait jamais cachés, dévoilés d’une nouvelle manière si impropre et pitoyable fit remonter un sentiment d’asphyxie dans sa gorge. Entre ses cheveux salis et brillant de transpiration se trouvait le mèche à moitié arrachée, qui tenait encore après des jours de brutalité par un miracle inexplicable.  Les paroles interrogatrices de son frère était comme la menace que tout pourrait basculer selon ses mots, il se sentait acculé contre les récifs dangereux de leur relation accidentée. Quelle réponse était la bonne, quelle réponse le sauverait alors que Thor n’avait jamais su sauver quiconque de ses mots ? Son frère allait se faire tuer, réduire en charpie dans le meilleur des avenirs si la torture tant promise par Gorr était abandonnée par manque d’envie. Les mots de Thor étaient faibles. Son corps l’était tout autant. Il n’y avait plus rien qu’il ne pouvait utiliser pour protéger les siens, plus aucune partie de lui n’était assez forte, puissante, digne ou sage. Il n’était que l’enfant qui avait toujours profité du petit garçon cacher dans son ombre et qui se demandait maintenant s'il en avait un jour était autrement.

Ses lèvres étaient aussi sèches que le flot de parole qui aurait pu s’en échapper, sa gorge tarit de belles paroles qu’ils pouvaient cacher derrière les idées de la famille ou du bien commun. Car il n’y avait nulle famille, nul bien commun, juste Loki et l’effroyable peur qui le poursuivait en sachant que son destin était entre ses mains tremblantes et destructrices. L’indignité de ses terreurs et la force de l’impuissance le balayait comme des vagues acérées. Loki et ses yeux verts. Sa mort imminente. Loki et sa voix. Ses questions que Thor redoutait. Loki et sa présence. La honte du feu doux qui crépitait dans son coeur, au milieu de la tempête. Il. N’y. Avait. Pas. De. Solution. Quel mot, quel geste, quel miracle pour faire rester Loki ? Le dieu impétueux ne fit ni confiance à ses paroles qu’il savait juste bonnes à alimenter le feu de leurs tourments, ni à sa capacité à le maîtriser, car son corps était à l’image de son esprit, une épave. Sa carcasse était nouée, ses muscles roulaient douloureusement sous sa peau d’acier, contractée et en quête d’une forme de solidité. Les mains contusionnées et nervées du dieu se jetèrent une nouvelle fois sur les bras du noiraud, avides et irréfléchies. Le tirant avec un désespoir qui se voulait dissimulé, tremblantes de voir sa demande refusée, de voir ce corps refuser de se courber vers lui. Simultanément son visage se projeta vers l’avant, autant que lui permettait ses liens qui craquaient sous ses efforts. Les sangles s’étiraient et soudain elles rompirent, si bien que le visage de l’héritier se jeta sur celui du fils renié et que ses lèvres plongèrent sur celles pâles et fines de son allié de toujours, en apnée. Reste.

Le prince doré d’Asgard n’a jamais su aimer mieux que de loin, enfermant dans sa coquille musculeuse une petite boule de chaire du pire de ce qu’il était. Du pire ? Peut-être renfermait elle aussi une partie du meilleure, cette facette voilée. Thor n’était qu’une honnête façade, mais Loki était le meilleur pour la percer et la fendre de ses malices. Son frère savait faire éclater sa nature  problématique de manière glorieuse, lui faisant gagner ses premières batailles, ses premiers amis, ses premières illustration, souvent au dépend du prince d’ombre et d’émeraude. Car si tout le royaume connaissait le rejeton doré d’Asgard comme une incroyable tête de mule, butée à en faire foncer une armée dans un précipice sans fond par le simple poids de ses convictions, inconscient et trop sûr de lui peu le voyait sous ses plaques d’armures. Peu le voyait comme l’enfant fou qu’il était, au sadisme étanchant sa soif de reconnaissance, au besoin de détruire pour amener ceux qui mettait en danger son égo déranger à son niveau et même plus bas, et aux peurs dévorantes chaque parcelle de raison de sa caboche pleines d’attentes.  

Est-ce que cela voulait dire que le frère oublié le connaissait mieux que quiconque ? Impossible de le dire, sûrement le connaissait-il autant que Thor connaissait son frère. Odinson savait que sa mère les avait connu sûrement mieux chacun qu’ils ne se connaissaient eux même, l’un comme l’autre, l’un et l’autre. Mais ils étaient deux parties d’une même pièce, deux mécanismes se répondant. Les lèvres du brun sur les siennes étaient douloureuses à en crever en anticipant la seconde où elles allaient se séparer, trop proche dès l’instant même où commença le baiser. Le Dieu avait mal à la tête en pensant à ce qu’ils étaient. Se comprenaient-ils ? Etait-ce un lien de toujours ? Etaient ils deux enfants se retrouvant ? Deux adultes se rencontrant ? Etait-ce sain ? Un besoin ? Une envie ? Putain qu’est-ce qu’on en avait cure !

Mais Loki en avait cure, Loki l’éloigna. Thor aurait voulu être en droit de prendre, de répondre par l’injonction à sa supériorité naturelle comme il le faisait il y a encore quelques années. Comme l’époque où devant tous et toutes il prenait tout, la parole, les lauriers et le libre-arbitre. Mais rien n’avait jamais été si simple et une fois que le masque de la tyrannie peureuse était tombé il n’était pas aisé de le remettre. En cet instant son frère était effrayant.

Tu regretteras. Il sait.

Mais pas dans l’instant, car les yeux bleus observent les mouvements éprouvés de son petit frère qu’il sait ébranlé. C’est si palpable qu’il en a le goût sur la bouche, celui doux-amer de la confusion. Thor ignore si Loki le déteste pour ses actes, le déteste de tout revendiquer de ne lui laisser aucun choix jusqu’à celui de la personne qu’il peut embrasser. Mais il n’ose pas demander, part sur un statut-quo où aucun n’aurait besoin de s’expliquer. Sa peau transpirante tremble sous le touché frais du brun et ses pupilles se contractent, loin d’être passif à ce qu’il se passe. Non il ne demandera pas ce qu’il regrettera, il ne veut pas le savoir, son égoïsme est total, mais à défaut de pouvoir faire mille promesses erronées au prince des glaces, il clos sa bouche.

Le baiser, il l’attendait, ne l’espérait pas. La langue de Loki contre la sienne… C’est le goût des escapades volées dans la forêt, le trot des chevaux pour échapper à leurs obligations, la voix du plus lettré qui lui donne des cours d’astronomies à la belle étoile, c’est la sensation d’un pur bonheur sans lendemain. Alors avec ses forces recouvrées Thor se redressa en agrippant les épaules de son frère tout en continuant de donner ses impulsions guerrières au muscle qui menait bataille avec la langue acérée de Loki. Les élans de désespoirs que Thor percevait dans la bataille étaient acides, pesant et désespérément touchants. Ses liens tombaient de part et d’autres du lit, loin de pouvoir retenir quiconque en l’état. Le dieu du tonnerre sourit contre la peau pâle de son allié, c’était un sourire qui n’avait pas de projet, un peu dérangé, un peu dérangeant. Thor laissa tomber son corps sur celui du brun pour le faire crouler dans les draps encore humide et poisseux. Puis le blond s’éloigna sans plus faire peser sa force sur le brun.

Arrête. Son ordre claqua alors que ses yeux tentaient de capturer ceux verdoyants sans compromis. Arrête de penser à ce que tu es en train de perdre mon frère, car il n’y a rien que tu ne sache regagner. Il n’y jamais rien eu que tu n’ais su regagner. La tresse d’or et d’onyx déjà ébranlée ne demanda qu’un coup de doigts de Thor pour retomber entre eux. Mais tu y reste toujours si désespérément aveugle car tu n’as jamais était sûr de posséder quoique ce soit. Tu n’es pas responsable de mes erreurs, de mes failles, tu n’as pas si peu de valeur que ta simple présence déteint sur ma superbe. Tu n’es pas le fautif des mauvais traitement que l’on t’inflige, tu n’es coupable que de ce que tu provoque. Tu es coupable de m’avoir sauvé plus que quiconque en ce monde, à part peut-être mère, tu es coupable d’avoir été à mes côtés toute ma vie et d’avoir été mon frère, mon compagnon, mon allié. Et ici tu es plus un roi que je ne l’ai été depuis longtemps, alors je viens quérir ton aide. Tu dois m’aider à sauver les dieux, Loki.