Noir était la couleur de l’espoir. Noir était l’apaisement. Noir était le soulagement. Dans un monde désertique, l’ombre était une ressource rare et convoitée. Les nuages s’assombrissant étaient la promesse d’un peu d’eau pour survivre un peu plus longtemps sur une terre damnée. Quand sa peuplade priait les dieux du soleil de leur accorder un peu d’eau et de nourriture, le jeune Gorr s’éloignait, car il avait cessé de croire en leurs existences. 3 cycles que sa mère s’était faite dévorée par une meute de hyène qui la firent courir jusqu’à tomber dans une crevasse, profitant des fractures de ses jambes pour s’en repaître. Et où étaient les dieux ? Sept étés que son père était mort, anonyme aux yeux de son fils trop jeune pour s’en souvenir. Et où étaient les dieux ?

Quand l’enfant fermait les yeux le soir c’était pour oublier l’étoile qui brûlait continuellement au dessus de leur tête, c’était pour oublier le destin qu’ils enduraient sur cette planète meurtrière et maudite. Il savait que la fin de la souffrance viendrait avec le voile noir de la mort, pour chacun d’entre eux. Son ventre était une pelote de nœud desséchée et la douleur de la faim était devenu une partie de lui. Ses lèvres étaient déshydratées, craquées et sanglantes. La moindre goutte de salive qui s’échappait de sa bouche était comme une larme d’acide sur sa peau trop sèche. Il avait vu beaucoup de jeunes de son âge s’effondrer et ne plus jamais se relever. La mort n’était pas foudroyante, c’était une longue agonie et quiconque s’assoupirait de faiblesse lors de leurs nombreuses migrations serait condamné. Les corps étaient pendus pour permettre aux âmes de s’envoler vers les supercheries divines qui étaient vénérées chez lui. Mais il y avait si peu de végétation que bientôt les corps occupaient chaque branche de chaque arbre mort qui se dressait sur leur route.

Gorr ne disait point mot de ses pensées les plus intimes car critiquer les dieux étaient le risque d’être lapidé et abandonné au milieu d’une plaine infernale de sable brûlant. Car tous avaient peur de la colère divine, s’évertuant à lancer dans l’air des prières qui restaient sans réponses et à satisfaire des chimères. Il se soumettait, comme tous, devant donner une partie de ses récoltes déjà trop maigre pour présenter une offrande divine qui pourrirait ou serait dévoré par des animaux moins stupides qu’eux. A son treizième été, l’infidèle trouva un mariage avec une chasseuse qui saurait compléter ses talents de cultivateur. Si il ne l’aimait pas d’un amour romantique, il savait apprécier son caractère et ses talents de traque. La survie était une dure entreprise dans ces terres mortes, à deux ils s’en trouvaient plus fort. Les cycles passaient et bientôt Gorr partageait sa couche d’herbe sèche avec un petit être dont la venue avait coûté la vie de celle qui l’avait enfanté.  Le nouveau-né pleurait, pleurait pour tous ceux qui n’avaient pas le courage de le faire. Encore inconscient de la rareté de l'eau qui s'échappait de ses paupières juvéniles. Et il criait, criait son injustice, celle de la faim, de la soif, de la fièvre. Il n’avait pas cette retenue fanatique que tous partageait sous la coupe de la pression collective. Non, il avait juste le ventre vide, juste les lèvres sèches, juste le corps couvert de plaque et la gorge obstruée par la poussière et le sable impossible à fuir. Il mourrait, mais avait l’indécence de le faire savoir.

Les anciens se décidèrent enfin à abandonner leurs terres à l’agonie dans un exode que certains attendaient depuis des saisons et des saisons. Gorr le savait, il l’avait réclamé bien avant, maintenant il était trop tard, il n’y avait plus assez de vivre à emmener, plus assez de force dans leurs jambes, plus assez de bras pour s’entraider. Leur traversé du désert était désespérée, condamnée, beaucoup trop s’en remettaient aux soleils et à ses représentants divins pour les protéger, oubliant que c’était justement les astres brûlants qui les décimaient sans pitié. Il n’y avait plus d’espoir sur ces parcelles désertiques, l’espoir se trouvait par delà l’horizon, au-delà des dunes qui s’étendaient en une mer de sable sans phare pour les guider. Alors le jeune alien prit le dernier de sa lignée contre lui, dans un linge granuleux et déchiré et avança. Avait-il un nom ? Oui, il en eu un. Mais quand son corps parasité et brûlant fini par cesser de respirer, il n’y avait pas un dieu imaginaire pour s’enquérir de son identité.

Gorr n’en dit rien, continuant d’avancer des heures, comme si en ignorant le maigre corps d’un silence de plomb qui reposait contre son torse, il pouvait encore revenir dessus. Son esprit était tantôt noir, tantôt rouge, tantôt insensible, tantôt embrasé d’une fureur déchaînée. Un pas, puis l’autre. Et soudain il s’arrêta pour s’agenouiller. D’abord, on ne prêta pas garde à lui. Le dernier jour de marche avait emporté bon nombres d’âmes. Ses mains se mirent à creuses le sable, avec un acharnement désordonné tandis que la poussière incandescente du désert cherchait à le reboucher à chacun de ses mouvements. Le récent né et nouveau mort s’y trouva poser, suscitant le questionnement des personnes qui les dépassaient. L’inquiétude. Les mains blanches et abîmées de l’infidèle s’attelait à recouvrir chaque centimètre de la peau rougit et boutonneuse du bambin. Horreur. Les yeux de ses pairs s’emplirent d’une stupeur terrorisée.

Son âme ne pourra pas monter au ciel !
Les dieux soleils ne pourront pas l’accueillir ! Arguez-t-on.

Ce sont ces mêmes soleils qui l’ont tué ! Opposa-t-il. Qui nous tuent tous !

Tu blasphème ! Un constat. Une menace. Ne le condamne pas par ta folie.

Mais il continua. Jamais plus il ne souffrira du soleil et de sa brûlure. De notre bêtise et de nos histoires. Arrêtez de chercher votre salut dans notre perte, nous sommes tous damnés.

Il va trop loin ! S’écriait-on. Ils vont l’entendre. Et nous abandonner, cette idée se propageait dans la foule effrayée.

Les dieux n’existent pas ! Ils n’ont jam- Dans un feulement surpris de douleur, il tomba, ne sentant que la strie incandescente qui dévorait la moitié de son visage. La lame du plus ancien des leurs était encore sortie, ses crans striés de ligne de sang frais. En s'effondrant au sol, sa joue avait été investit par le sable s'infiltrant au cœur de la profonde plaie. Ses pupilles étaient secouées frénétiquement par des sentiments contraires, fourmillants, s'affrontant au cœur de son esprit en pleine réflexion.

Alors qu'il se remettait de l'atteinte, le peuple continua son chemin après l'avoir lapidé. Que son âme soit damnée, mais pas les nôtres.

La fureur était rougeoyante dans son esprit, mais son corps lui, était vide. Alors il avança, par delà les dunes, dans une direction nouvelle. Et pendant ses longues heures de marche il couva son esprit dans le réconfort de l’obscurité. Si il n’y avait ni paradis, ni enfer, ni dieux, ni purgatoires, alors son âme rejoindrait le néant. Les ténèbres, dans un repos silencieux et sans contre-partie. Les ténèbres et l’obscurité, l’obscurité et les ténèbres, que la mort vienne le cueillir et l’emmène à eux. Il la priait. La priait de faire cesser ce soleil impitoyable et cette chaleur insoutenable. Gorr était rassuré, car rien ne la retarderait encore. Il le sentait, la touchait du bout des doigts à chaque bref moment d’inconscience.

Si les dieux n’étaient que chimères, alors ils ne seraient pas tombés devant l’alien. L’un d’or et l’autre d’obsidienne s’effondrant au sol, agonisants. Si Noire ne fut pas en possession de l’un d’eux, ils n’auraient pas créé le plus grand génocidaire de divinités que l’univers connaîtrait dans les mille ans à venir. Mais les dieux existaient. Et les dieux tombèrent sur ses terres sans répondre à leurs prières. Et Noire était là.. Elle se jeta sur Gorr dès qu’il s’en approcha, le possédant, le sublimant, le rassurant et l’envoûtant dans ses ténèbres pures qui l’enveloppaient sereinement. L’obscurité se répandit dans ses veines et sans le savoir, il scella son pacte de sang avec la lame nécrotique en tuant son premier dieu. Il dédaigna ses suppliques comme on avait dédaignait les leurs et plongea sa lame dans ses chairs divines. Si faible. Face à la mort, ils étaient tous égaux.

Quand il l’assassina, Gorr ressentit un soulagement, le poids de sa vie s’effaçant temporairement de ses épaules et sa colère se transformant en un court d’eau calme. Il se sentait entier, il se sentait vivant et il se sentait investit. Y’avait-il d’autres dieux ? Il devait continuer, y goûter à nouveau et rendre justice à l’univers en les exterminant tous.

Et il le fit. Wendidorge et ses fées guerrières, les peuples du vide extérieurs, les colosses de lave, les géants, les protecteurs… Tous devaient se soumettre au jugement de la nuit, tueurs sans pitiés et pacifistes convaincues. Si un dieu ne faisait pas de mal alors c’est qu’il ignorait celui de son absence. Bientôt, tous dans l’univers ne pourraient plus compter que sur eux-mêmes.

Pas de sommeil, pas de repas, pas tant que son œuvre ne serait pas accomplit.

Il n'était plus qu'obscurité. Juste les ténèbres, rien de plus que les ténèbres.